Son regard inquisiteur balaya la salle d’un œil critique, les bras croisés sur le torse, dans une attitude sévère, et peu enclin à laisser passer la moindre erreur. L’instructeur des chauves-souris n’était absolument pas réputé pour son caractère aimable et avenant. Cependant, depuis quelques jours, c’était pire que d’habitude, et les recrues le ressentaient. Énormément à leur dépens.
Son œil se fixa sur l’un d’entre eux, ayant eu le malheur de s’interrompre pour frotter ses bras de ses paumes. Il eut le déplaisir de croiser l’iris bleu, dont l’expression était aussi glaciale que le vent d’hiver qui s’infiltrait par toutes les fenêtres ouvertes.
- « Si t’as froid, applique-toi mieux dans ton enchaînement. Qu’il lui lança d’un ton sec.
- Oui… Le regard appuyé l’incita à poursuivre.
Oui, monsieur… »Voilà qui était mieux…
Ça lui avait pris comme une envie de pisser, en arrivant ce matin dans cette pièce bien trop chauffée à son goût. L’air frais était vivifiant et tonifiant, Slade estimait que ça ne leur ferait pas de mal de s’entraîner sous d’autres conditions. Ceci dit, il aurait aussi pu les emmener dehors. Mais pour ça, l’homme attendait qu’il fasse plus froid, et que la neige soit plus dense. Certains se croyaient un peu trop en colonie de vacances…
Au cours de son entraînement pour intégrer les marines, puis les forces spéciales, rare étaient les moments où ils s’entraînaient en intérieur. Parfois, cette époque de sa vie venait à lui manquer…
Mais ces derniers temps, ce qui venait le plus à lui manquer, c’était cette période où il se trouvait à l’apogée de ses capacités, ainsi que de sa renommée. Où il pouvait presque sentir chez les autres, la crainte de se trouver dans la même pièce que lui. Cette puce était un affront, et lui donnait l’impression de n’être plus considéré que comme un vieux lion, qu’on aurait transformé en chat de salon.
Néanmoins, certains en venaient à oublier qu’il entendait toujours aussi bien, et surtout, qu’il finissait toujours par savoir. Parce que les gens parlent. Et lorsque les langues se délient, comme de vulgaire commère de basse-cour, les informations fuites et finissent toujours – inévitablement – par tomber dans les bonnes oreilles. Ou les mauvaises, en l’occurrence.
Et apprendre de cette manière, que cette imbécile de Wayne avait détenu cette vermine de Jason Todd, pour le laisser filer ensuite, sans en avoir été informé, l’avait mis hors de lui. Comme si Wayne pouvait s’imaginer qu’il allait le laisser mettre tranquillement la main sur sa fille, en se passant de lui, sans réagir. C’était vraiment mal le connaître… Bien que l’inverse ne serait pas non plus des plus avantageux…
Et pendant ce temps, il perdait le sien, avec ces gosses qui lui donnait des envies de génocides. Passant pour le simple instructeur, brave vieux toutou édenté de Batman. Alors qu’il pourrait être dehors, à traquer la seule personne capable de retrouver Rose. Les animaux blessés étant souvent plus facile à débusquer.
Mais Slade rongeait patiemment son frein, prêt à leur montrer que ses crocs étaient toujours les plus aiguisés du secteur. Il allait s’assurer leur loyauté envers lui, aussi bien qu’ils la devaient à la chauve-souris. Parce qu’il restait avant tout Deathstroke, et pas le premier minable venu. Tomber aussi bas que ne l’avait été, son minable de demi-frère, ne faisait absolument pas partie de ses plans d’avenir.
Mais pour l’heure, l’instructeur devait tout de même se concentrer sur cette session, bien que son humeur ne s’y prêtait absolument pas. Accentué, de surcroît, par l’approche des fêtes.
Son regard capta dans le fond de la salle, quelque chose qui lui déplut fortement, et que son irritabilité n’était absolument pas disposée à laisser passer. Se frayant un passage, il écarta d’une main ferme le binôme de la jeune fille, puis se mit en garde.
- « Recommence. Qu’il lâcha, toujours aussi sec.
La brune effectua de nouveau son enchaînement, que l’homme n’eut aucun mal à briser. Slade pénétra sa garde avec une facilité déconcertante, colorant sa joue, puis faucha brutalement ses appuis pour l’envoyer au sol. Son ouïe capta dans la manœuvre, la désapprobation d’une cheville meurtrie.
- Qu’est-ce que je t’ai déjà dit ? Sa voix siffla, sans aucune compassion de l’avoir blessée.
Garde trop basse, appuis pas assez solide…Pourtant, ils le savaient tous, qu’il détestait autant se répéter, que de parler trop longtemps.
- Rappelez-vous qui vous commande sur le terrain. Soyez sûr de ce que vous faites, et ne comptez que sur vous-même. Personne ne le fera à votre place. Sauf si vous voulez finir comme la dernière équipe du gamin… »Autrement dit, au cimetière.
Le mercenaire ne comprendra jamais cette fantaisie de Wayne, de confier le commandement de sa milice à un sale gamin mal élevé, dont le lait lui coulait encore du nez, pour faire tuer ses hommes en missions… Si ça ne tenait qu’à lui, il l’enfermerait avec ses stupides bestiaux et jetterait la clef.
- « Lève-toi. Qu’il ordonna, une certaine impatience perçant sa voix.
- Ma cheville…Sa plainte eut pour seul effet de faire claquer sa langue, lui jetant un regard de mépris mêlé de lassitude, avant de se tourner vers son binôme.
- Emmène-la à l’infirmerie. Et reprenez, vous autre ! »Aurait-il pu éviter d’un venir jusque-là ? Oui. En avait-il vraiment envie ? Non. Oui, son acte avait été purement gratuit, et encore. Elle avait de la chance d’avoir rectifié en partie son erreur, avant de finir sur le plancher, parce que c’est son genou qu’il visait. Qu’elle ne se plaigne pas de se retrouver seulement en béquille, pour les fêtes de noël…
Faire encore ce genre d’erreur, à leur niveau était impardonnable.
Tout comme abuser de leur autorité sur le terrain. Une nouvelle information, attrapée à la volée, qui alimentait les humeurs du mercenaire. Mais ça ne l’étonnait absolument pas. Ce genre de chose était monnaie courante, il l’avait par maintes fois observées au sein de l’armée. C’est le propre de l’être humain. Donnez un minimum de pouvoir et d’ascendant à quelqu’un sur les autres, placés en position de faiblesse, et il y aura toujours des débordements.
Est-ce qu’il comptait laisser passer ça pour autant ? Certainement pas. Pour le moment, ce n’était que des rumeurs récentes et il n’avait pas eu le temps d’approfondir le sujet, de trouver des noms. Bien qu’il ne se fît absolument pas de soucis sur sa capacité à finir par en trouver. Slade avait déjà une parfaite liste en tête. Et il avait bien l’intention de l’inscrire, dans ses comptes à régler.
Slade parcourut la salle d’un pas silencieux, guère éprouvé par le froid, rafraîchissant le sol sous ses pieds nus. Il ne le sentait même plus. L’instructeur distribuait ses instructions, en passant entre les binômes, l’œil alerte à la moindre erreur. Et il en guettait d’une personne en particulier. Seulement, Deathstroke avait depuis longtemps acquis l’art et la manière de mettre mal à l’aise, sans avoir besoin d’ouvrir la bouche. Et un sourire intérieur éclaira sa pupille, lorsque ce qu’il attendait se produisit.
Le gamin derrière lequel le cinquantenaire se posta, ne se fit pas prier pour lui céder sa place. Celui qui lui faisait face, pour sa part, n’en était plus vraiment un, cependant, ils l’étaient tous à ses yeux. Et lui en particulier, avait grand besoin d’être remis à sa place.
- « Vas-y, porte ton coup. Te gêne pas pour moi. » Qu’il s’empressa d’ajouter.
Ses iris brillèrent d’une insolence vicieuse, que Slade allait se faire un malin plaisir d’éteindre. Il connaissait par cœur ce genre de type, et il se trouvait plus que prévisibles.
Le poing partit du côté aveugle, évidemment. Son adversaire para de façon vicieuse de son coude, en le repoussant du même coup pour pénétrer sa garde. Il put sentir, avec une certaine satisfaction, au moins une phalange craquer. Peu décidé à en rester là, le mercenaire riposta d’un uppercut en pleine mâchoire, l’expédiant à moitié sonné sur le tapis. L’homme s’avança au-dessus de lui, puis se penchant, lui flanqua une tape du côté où il avait frappé.
- « Ça, c’est un poing correctement fermé. Qu’il soulignât, comme si l’autre avait réellement pu observer la différence.
Erreur de d é b u t a n t impardonnable.Il appuya tellement sur le mot « débutant », que l’on pouvait presque entendre chaque lettre s’épeler toute seule, pour se graver dans ses chairs.
- Tu survivras ?- Oui… m’sieur. Que la recrue articula péniblement.
- Miracle. Il parle. C’est que ce n’est pas cassé.Se redressant, Slade ne lui prêta déjà plus attention.
- Besoin d’un chaperon, pour l’infirmerie ? » Qu’il demanda du ton de celui qui s’étonne de le trouver encore par terre.
Du coin de l’œil, le mercenaire le vit repousser rageusement la main de son camarade, puis quitter la pièce. Il aurait pu lui briser la mâchoire, et ça aurait été amplement mérité. Bien plus que l’erreur qu’il n’avait pas vraiment commise. Enfin, en partie…
En revanche, il avait commis celle d’avoir trop ouvert son claque merde sur son compte. En plus de faire partie de sa tête de liste, concernant la question des abus de pouvoir. Qu’il retienne donc cette leçon. Sinon, le gamin allait se souvenir que le morveux Wayne pouvait peut-être les faire tuer sur le terrain, mais lui, pouvait très bien le faire ici. Et de ses mains.
Deux autres suivirent son sillage, jusqu’à la fin de l’entraînement. Et pour une fois, Slade ne les avait jamais vu autant pressés – du moins, bien plus qu’à l’accoutumé – de quitter la pièce et sa compagnie. Aucun d’eux ne s’était même porté volontaire, pour faire du zèle. En demandant s’ils pouvaient fermer les fenêtres. Étonnant…
L’homme prit tout de même la peine d’en fermer quelqu’une. Les mains figées sur le battant, son œil se perdit quelques instants sur la course d’un flocon, qui vint s’écraser à ses pieds.
Un soupir s’échappa de ses lèvres, lâchant un nuage de buée dans l’air encore matinal, tandis qu'il prêta enfin attention à la présence, qu’il aurait préféré éviter encore quelque temps. Compte tenu de ses humeurs. Slade se fichait pas mal depuis combien de temps Wayne l’épiait de son petit coin. Il aurait été là, visible, depuis le début – peut-être était-ce le cas – qu’il n’aurait rien fait autrement.
Cependant, en cet instant, le mercenaire n’était pas du tout disposé à lui lécher les bottes, ou le brosser dans le sens du poil. Il ne l’avait jamais fait d’ailleurs, ce n’était pas aujourd’hui – alors que l’homme se sentait l’envie de faire du petit-bois avec n’importe qui – que ses habitudes allaient changer.
- « Si t’as un commentaire à faire… Qu’il commença, les deux mains sur le panneau, avant de finalement s’abstenir de toute forme d’amabilité.
… Abstiens-toi. »Sur ces mots, la fenêtre se ferma aussi sèchement que son ton, coupant court à toute forme de discussion.