carry on my wayward son ((BRUCE))

J'eus la politesse de reprendre forme humaine avant de pénétrer le domaine des Wayne. Vêtu de ma tenue des légions du maire, le vêtement épousa ma condition simiesque avec simplicité. Malgré les éons passés à porter cet uniforme, je n'avais jamais cessé d'être fasciné par les technologies à portée des mains de l'homme que je servais. Pensivement, je fis les derniers pas jusqu'au grand hall où la pénombre du crépuscule était vaincue par la luminosité ambiante. L'antique maisonnée aux dimensions gargantuesques avait toujours été source d'étonnement en ce qui me concernait. J'avais toujours vécu une vie chiche de scientifique ; mes parents n'avaient jamais été riches ; Francine et moi nous étions contenté de peu, tant que la nuit s'offrait à nous.
Francine.
Le nom terrible. Il tonne contre mes côtes, alors que l'anneau dans sa chaîne, autour de mon cou, a parfois le poids du monde.

Je ne traîne pas. Nos petits entretiens habituels nous sont connus. Contre ma hanche, la sacoche dûment portée durant mon vol, contenant les documents qu'attend Bruce de ma part - et de celle d'Hugo. Nos recherches avancent chichement, mais il serait mentir que de dire que nous stagnons. L'intelligence de mon partenaire de laboratoire en terme de génie scientifique ne m'égale pas, mais Hugo apporte à notre duo une dynamique que je serai incapable de nous donner. Je suis certain que, très bientôt, le sérum redeviendra stable et cessera de muter tel un virus. Pourtant, les rats sujets à nos expériences n'ont pour le moment connu que des fins violentes. Je me demande parfois ce que dirait Bruce s'il savait que Talia possède une armée de ManBat, ersatz de la Bête en moi. Sûrement prendrait-il cela comme une trahison, quand je n'y avais vu que l'occasion de ressusciter ma femme. Piètre marché, étant donné que la tombe de ma bien-aimée était restée close. Pourtant, j'avais appris à faire confiance à Talia - autant que faire se peut. Je continuais de me méfier de sa vive intelligence. Je savais également qu'elle n'hésiterait pas à me piétiner pour arriver à ses fins et connaître cela me rassurait ; j'étais prêt au pire de sa part. Cependant, je m'étais réellement pris d'affection pour son rejeton. Une demande de la part de la matriarche, et j'avais gardé un oeil sur Damian - avant de le prendre sous mon aile, ou sur mon aile, si l'on jouait sur les mots. Porteur du petit prince, monture chauve-souris, je traînais la nuit sur ses pas. Et j'appréciais le petit, son caractère renfrogné et insolent, son entêtement, ses compétences.

Repoussant mes pensées, je rejoignis Bruce dans son bureau. Passant mes mains sur le devant de mon uniforme, je n'eus pas besoin de me racler la gorge pour qu'il apprenne ma présence. Avec douceur et complicité, je me permis enfin un petit sourire qui dérida mon visage sévère. ─ Bonsoir Bruce. J'avais vu autrefois un ennemi en ces traits nobles. J'y discernais à présent un allié de poids, un comparse de cette recherche de justice affamée. Délicatement, je sortis les documents et vins les poser devant lui à gestes maîtrisés. ─ L'état de nos recherches. Hugo te salue ajoutais-je en aparté. Je ne savais s'il désirerait parler du sérum, des Bats ou partir sur un terrain plus tranquille, plus amical. Je lui laissais les rênes de la conversation, sachant que tenter de lui tirer les vers du nez sur un quelconque propos ne servirait à rien. Mains dans le dos, réservé et méticuleux, je fis quelques pas pour laisser à Bruce le loisir de choisir le tour de notre entretien. Mes pensées papillonnent au dehors : vers Damian, dont le comportement semble avoir évolué ces derniers temps au grand dam de son équipe et de son paternel ; vers Arthur, dont la compagnie attise en moi aussi souvent l'homme que la Bête, qui me pousse à la tentation de le pousser dans l'abîme, à voir jusqu'où ses limites peuvent se fêler.
Une soif monte, descend, marée sanglante qui passe en laissant sur mes rivages un léger soupir.
─ Tout va bien ?
Je m'enquières avec délicatesse. Il est rare qu'une telle question soit posée entre nous, pourtant, elle l'est avec sincérité. Nulle esbroufe, aucune hypocrisie de politesse. Je tourne vers lui mes prunelles pâles, le visage vaguement interrogateur, prêt à taire mes questions s'il ne désire pas s'épancher.

@Bruce T. Wayne

L'absence de sourire de Bruce n'est pas un frein. J'ai à présent l'habitude de ses mimiques parfois renfrognées, et si je ne me targue pas de savoir lire en lui, je sais reconnaître à son timbre l'invite et la chaleur dont sont dénués ses traits. J'observe les doigts de l'homme se saisir des documents que j'ai apporté. Je me tins droit, apte à recevoir reproches comme appréciations. Mon esprit dériva un instant vers tout ce qui n'était pas en ces lieux : Damian, Talia, Arthur. Des êtres qui gravitaient autour de moi, comme des planètes ou des supernovas. L'envie de protéger le premier, la relation étrange et ardue avec la seconde, la tentation que j'incarnais dans mes ombres pour le troisième ; des fils qui me liaient, comme des chaînes, et je ne savais si je désirai m'en libérer. N'étais-je pas domestiqué, de toute façon ? Bruce me tenait. Mais il s'agissait là d'un joug volontaire. Parce qu'il travaillait pour le meilleur. Parce qu'il ne songeait qu'au bien ultime et fondateur.

Ma question reste sans réponse et je n'insiste pas. Mon inquiétude douce s'éteint, s'étiole, mon visage reprend un air sérieux et professionnel. Bruce semble en avoir fini avec sa lecture, mais l'interrogation suivante ne me surprend pas. Un petit sourire, fier, arrogant, flotte sur mes lèvres.

─ As good as I could hope for. I was not convinced at first by our alliance, but he is intelligent, curious and inventive. Mais pas autant que moi, semble sussurer mon ton hautain. Si Hugo était un humain tout à fait correct, malgré quelques tares et vices qui m'exaspéraient, son intellect n'arrivait pas à la cheville du mien. Ma compréhension des domaines de la biologie, de l'ingénierie des cellules me rendaient bien plus nécessaire que lui. Mais je ne pouvais nier que sa présence m'était d'un réel secours. A la manière d'un assistant.

Tout en répondant, je me suis assis en face de lui, pour répondre à son invitation plutôt que pas besoin de m'asseoir. Je croise les jambes élégamment, dos droit contre mon siège. Are you satisfied with our collaboration ? Tu laisses volontairement le doute sur ta question. Que Bruce choisisse d'interpréter si tu parles de votre collaboration à tous les deux, de celle de Strange et toi, ou des résultats que tu viens d'apporter. Tu penches la tête doucement, comme un animal attentif, réflexe de la chauve-souris. Car la Bête est toujours là, et tu sens sa pression malgré que tu te sois nourri avant de venir. Tu sens tes instincts primaires, tes sens aiguisés, l'énergie qui picote dans tes membres, ce besoin excessif de prendre possession du monde entier. Mais tu n'en démontres rien. Perdre le contrôle, surtout devant Bruce, serait contreproductif, une faiblesse agitée sous son nez. Tu restes serein, calme, comme si la Bête ne faisait pas bouillir ton plasma dans tes veines.


@Bruce T. Wayne