Mauvais calcul [Zoe]

Mauvais calcul

Slade Wilson & Zoe Lawton

Intérieurement, Slade pestait. Il pestait contre cette neige, qui recouvrait la ville un peu plus chaque jour, rendant la circulation difficile. Contre le bruit qui infestait les couloirs, et l’impatience générale qui envahissait le lieu. Dont la sienne devait bien prendre une partie considérable. Puis contre Wayne et ses états d’âme…
Si au début le mercenaire n’avait pas réellement remis en question son choix d’intégrer ses rangs, ces derniers temps, ça le rongeait de plus en plus.
Voilà à quoi il en était réduit. Entrainer des sales gosses tous aussi péteux les uns que les autres et sans aucune valeur. Puis attendre que monseigneur Batman ait réellement besoin de lui, sur de vraies missions. Quand il ne les confiait pas à son imbécile de rejeton, qui n’était bon qu’à laisser une montagne de cadavre derrière lui. Comme s’il suffisait de soulever une plaque d’égout pour trouver, ne serait-ce qu’une poignée de recrues valable. Et comme si ça ne suffisait pas, le voilà maintenant qui devait jouer les chaperons de celui qui était censé être son employeur…
Il avait perdu ce qui lui restait de sa famille pour quoi ? Regarder s’effondrer un peu plus chaque jour l’homme qui était censé l’aider à la lui faire retrouver. Quelle perte de temps… Lui n’avait pas signé pour toute cette merde, ni pour gérer les crises de conscience d’un putain d’enfant gâté, pleurant sur son sort dans le noir. Le mercenaire en venait à se demander s’il se fatiguerait à lever le petit doigt, si un de ses ennemis venait pour l’achever. Ne rien faire reviendrait très certainement à rendre service à pas mal de monde, mais surtout à Bruce lui-même…

Cependant, rester inactif, quand il ne l’avait pas lui-même décidé, ne faisait absolument pas partie de son tempérament. Tout comme suivre les ordres. Si la mort de Gordon avait jeté un voile de deuil sur Gotham et entraîner une trêve tacite entre chaque camp, le mercenaire n’y croyait absolument pas. Il connaissait assez bien la nature humaine, pour être certain que nombreux seraient ceux qui ne respecteraient pas ce cessé le feu. Bien qu’ils se feraient plus discrets. Pour ça, Slade se trouvait bien déterminé à sortir, nullement impressionné par la météo, et se fichant bien de l’heure, lorsqu’il fut interrompu dans ses protestations internes. Le regard qu’il leva vers la jeune femme, lui donna presque l’envie de faire demi-tour sur le champ.
- « Monsieur, pardon de vous déranger, mais je voulais vous signaler que trois chauves-souris n’étaient pas revenues de patrouille.
Ses sourcils se froncèrent, tandis qu’une partie de son esprit cherchait à se souvenir si la moindre sortie avait été autorisée aujourd’hui.
- Depuis combien de temps sont-ils absents ? Et de qui parle-t-on ?
- Presque cinq heures. Et c’est Cara, Seth et Dave.
- Qui les a autorisés à sortir ?
Son regard se fit plus dur et la recrue, dont le prénom lui échappait ne se donna pas la peine de répondre.
- Ok, dis-moi où ils sont allés, si tu le sais. Son regard se fit lourd de sous-entendus. Et fais comprendre aux autres, que si je croise leur cul hors de ces murs, aujourd’hui, ils auront affaire à moi. »
Bien qu’il fût légèrement à agacer par ce revirement, le cinquantenaire n’était pas absolument pas inquiet s’agissant de ces trois-là.
Depuis qu’il avait rejoint les rangs de Batman, Deathstroke avait toujours pris soin d’assurer ses arrières. Se faisant une liste mentale des meilleures recrues, mais surtout de celles qui seraient prêtes à lui assurer leur loyauté. Tournant ainsi le dos à Wayne.
Avec le temps, en tout bon mercenaire qu’il était, il avait su se constituer sa propre milice privée, au nez et à la barbe de tous, même des principaux intéressés. Il faudrait être complètement stupide, pour mettre des mots sur ses intentions. Surtout lorsqu’il pouvait aisément se faire poignarder dans le dos. Tout en considérant le fait que Batman n’aurait plus aucune hésitation à l’envoyer six pieds sous terre. Après tout, la puce n’était qu’un compromis, et sa présence tolérée, parce que ses compétences lui étaient utiles. Slade n’avait que trop conscience que son seul statut d’humain amélioré, le mettait sur la liste des personnes à abattre.
Mais en attendant, que ces trois-là ne subissent pas ce sort, lui importait assez pour perdre son temps à les chercher. Ils faisaient partie de ses meilleures recrues, mais se trouvaient également en tête de sa liste personnelle. Stratégiquement parlant, les perdre bêtement ne lui servirait absolument pas.

Slade n’avait pas mis bien longtemps à les retrouver. Bien que celle qui l’avait prévenu s’était trouvée dans l’incapacité de le renseigner correctement, l’homme connaissait assez ces trois idiots pour savoir dans quel coin de Gotham chercher. Puis lorsque l’on trouve des traces de sang, accompagné de quelques douilles, ça devint vite une formalité. Une trêve pour respecter une phase de deuil n’est-ce pas ? À d’autres…
Son soupir dessina un large nuage de vapeur au-dessus de la tête de Dave, lorsqu’il leur tomba dessus, faisant pression du canon de son arme sur la nuque de ce dernier. Son regard croisa celui de Seth, qui resta totalement interdit. Slade savait qu’il l’avait vu.
- « Vous êtes perdu ? Qu’il lâcha sarcastique. Au rapport, et vite. »

Le mercenaire n’était pas un héros. Quiconque décidait de partir en mission avec lui le savait. Ce n’était pas lui qui allait se prendre une balle à la place de quelqu'un d'autre pour lui sauver la vie. Si quelqu'un était blessé, sous son commandement, c’est certainement que cette personne avait merdé quelque part. Curieusement – ou pas – s’il lui arrivait de ramener des blessés, il n’enregistrait aucune perte dans ses rangs. En revanche, pour le camp adverse… Les cadavres se comptaient un peu plus.
Mais il y avait parfois les exceptions. Parce qu’il restait toujours un être humain malgré tout. Un ancien soldat qui avait fait la guerre et avait vu mourir ses frères. Mais aussi un père qui avait vu mourir ses fils. Et il arrivait que certains réflexes remontent à la surface, en certaines présences. Et Seth lui faisait un peu trop penser à Grant, puis à lui-même au même âge, pour qu’il en reste totalement de marbre.
Il leur avait simplement ordonné de rentrer, et ramener Dave. Il pouvait parfaitement s’occuper de cinq pauvres types, sans avoir à se traîner des boulets.
Oh oui, il pouvait parfaitement en venir à bout. Et ça aurait été bien plus facile, sans un trou dans le flanc, causé par un stupide élan protecteur envers Seth…

Quelque échange de coup de feu plus tard, et de cadavre supplémentaire dans les rues de cette foutue ville, tandis qu’il choisit de prendre le chemin de ses pénates, plutôt que du QG, Slade pestait intérieurement. Il pestait à nouveau contre cette foutue neige, dans laquelle ses pieds s’enfonçaient jusqu’aux chevilles. Contre le froid, endurci par la nuit tombante, qui commençait à lui engourdir les doigts, puis contre le vent qui se levait. Il pestait une nouvelle fois contre Wayne et cette stupide puce, qui l’empêchait de se débarrasser de cette blessure aussi rapidement qu’une coupure de rasage. Au moins, cette fichue neige trouvait son utilité au creux de la plaie. La prochaine fois, il les laissera se débrouiller seuls, ça leur forgera l’expérience...
Un bruit de pas dans la poudreuse le força à s’arrêter, puis sortant son arme, le mercenaire se glissa dans l’ombre et faisant sauter la sécurité, il attendit sa sixième victime. Visiblement, ils s’étaient tous donné le mot aujourd’hui. À croire que le trio n’avait fait que servir d’appât…