I've got you brother ||ft. Richard

I’ve got you brother

Dick & Damian

One of the deep secrets of life is that all that is really worth the doing is what we do for others. ― Lewis Carroll.

Les cliquetis métalliques des barres contre les armatures résonnent haut et fort, accompagnés par le bruit des cordes qui grincent sous la pression, symphonie douce et amère de va-et-vient rythmés. Tu regardes les artistes aériens voltiger devant toi, au-dessus du filet, véritables hommes volants – mains enlacées et petits nuages de talque qui virevoltent autour. Assis contre le pilier central du grand chapiteau, tout en haut de la passerelle aérienne, une jambe étendue et la seconde enlacée d’une manière presque enfantine entre tes bras, tu regardes les trapézistes répéter leurs mouvements sous ton regard penseur. Et peut-être un petit peu rêveur, aussi. Il t’arrive souvent de venir t’assoir ici, en silence, juste pour contempler, pour réfléchir parfois sur des dossiers, ou quand t’as besoin de souffler tout simplement ; oisillon contemplatif en haut de son perchoir. Toujours avec cette même nostalgie : t’es jamais monté sur un trapèze après ce jour. T’as continué la voltige bien évidemment, tu portes chaque jour leur héritage avec ces figures aériennes qui te caractérisent tout particulièrement, parce que tu ne pourrais vivre autrement. Mais jamais sur une barre de fer, au-dessus d’une piste de cirque ; et encore moins celle-ci.
Une silhouette athlétique bien que finement taillée se cambre à l’arrière de sa barre, puis tend ses pieds droits devant, une fois, deux fois. Une troisième fois pour prendre de l’élan. Puis sa forme de demi-lune s’élance, glisse dans les airs avec l’élégance d’un danseur étoilé, son corps se moue dans une vrille et il lâche le trapèze, exécute deux tours dans le vide avant de se réceptionner sur la passerelle où tu te tiens. Il remarque seulement ta présence, affection évidente dans ses traits alors qu’il prend le chiffon posé sur le bois de la plateforme pour éponger sa peau. Tu ne dis rien, lui tends simplement la gourde qui repose près de toi et renvoie les marques de respect qu’il t’adresse, un soupçon d’arrogance en plus dans tes traits encore juvéniles.  
Le quadragénaire baisse la gourde, t’observe quelques secondes du coin de l’œil et tu sens son hésitation palpable entre vous. « You should try again you know. You were the best of us, Dickie », l’artiste s’aventure finalement à te souffler sur ce ton presque paternel de ceux qui t’ont vu grandir sous cette toile, si peu nombreux désormais. Ses mots néanmoins sont doux et mesurés, comme si, mal choisis, ils pouvaient te briser. Quand t’as vécu une tragédie, les gens semblent imaginer qu’il faut te ménager le reste de ta vie, semblent tous oublier que le mal a déjà été commis, qu'il t'a fallu devenir plus solide pour t'en sortir. Quand t'as perdu tes parents, t’as rapidement trouvé la force de te relever, auprès des autres mais surtout parce que t’as ça en toi, t’as toujours eu cette force qui te permet d’encaisser chaque coup que t’assène la vie. T’as vu des choses, bien plus que la plupart des mortels, pourtant t’es toujours là, optimiste et implacable, le sourire aux lèvres et l’envie d’aimer ton prochain sans rien attendre en retour. T’as choisi de te battre, de croire en l’humanité – parfois un peu trop, parce que ton cœur est pur et que t’es une personne bien, fondamentalement. Tu lèves les yeux face aux siens, lui retournes simplement un sourire espiègle au coin des lèvres avant de sauter de la passerelle, gardant l’incertitude de ce qui se passe dans ton crâne. Un jour peut-être, mais pas aujourd’hui. Tu peux l’entendre rire dans ton dos, bien trop habitué à ton impétuosité et ta fougue.

Sur la piste de sable, tu marches les mains enfoncées dans les poches de ton hoodie bleu, observes les motifs colorés qui comme des immenses fresques défilent autour de toi. De par tes racines t’as toujours contemplé le monde entier comme ta maison, mais c’est faux. T’as bien un véritable foyer, un endroit où tu te sens chez toi, à ta place. Fils ainé du philanthrope/dictateur Bruce Wayne, premier disciple de Batman, leader des Titans et modèle pour toute une génération de héros ; t’es devenu de nombreuses choses au fil du temps, mais ici, t’as le droit d’être Dick Grayson tout simplement. Sans masque, sans artifices. C’est ton monde, ton univers ; là où se trouve ton cœur. Et sous le grand chapiteau, chaque recoin possède sa propre histoire, dont la simple pensée te tire un sourire amusé ou parfois nostalgique.

Il arrive néanmoins que des éléments extérieurs intègrent ce monde, ton monde, pour écrire leur propre histoire, toute aussi importante dans ta mythologie personnelle – si ce n’est davantage.

En toute honnêteté, tu ne t’attendais pas à trouver Damian ici, mais cela n’enlève rien à la chaleur qui emplit ton cœur quand tu le vois. T’as un sourire attendri au bout des lèvres quand tu l’observes interagir avec la jument alezan, d’abord se présenter à elle avec sa main avant d’obtenir son approbation. Il a toujours su s’y prendre avec les animaux, bien plus qu’avec les gens et tu ne peux pas l’en blâmer pour la manière dont il a été élevé, les conditions dans lesquelles il continue de se développer. Pendant longtemps Damian n’a toujours pu compter que sur lui-même, sans personne pour le soutenir, ou ne serait-ce que le comprendre. T’es à peu près certain qu’il se sent toujours de cette manière malgré tous tes efforts pour lui permettre de se sentir à sa place, enfin, aimé et reconnu.
T’avances doucement mais ne fais rien pour dissimuler ta présence, conscient du fait que le garçon déteste être surpris – et encore plus dans ce genre de moments. « Aaaaaand you moan like a kitten », tu oses rétorquer spontanément. T’as jamais eu peur d’avoir du répondant avec lui, c’est probablement ce qui t’a fait gagner son respect avec le temps. Tu hausses un sourcil, malice aux lèvres. « Nice to see you too, lil’ D ».
T'avances un peu plus près et présentes à ton tour la paume de ta main à la jument, avant de passer tes doigts sur sa joue. « I see you’ve met Gaïa. Not sure Bruce will let you keep her though », tu souris gentiement. T’as grandi au milieu des animaux, t’as appris à communiquer avec eux toi aussi, à les aimer et les respecter. Tu penches la tête sur le côté et à la demoiselle tu t’adresses dans ta langue maternelle, comme toujours avec les bêtes : « *hi you, beauty queen* ». Tu pivotes ton visage légèrement pour reprendre ton interlocuteur. « She’s a little shy usually, you know… »

Tu te doutes que si le plus jeune de tes frères se trouve ici, c’est bien que quelque chose le tourmente. T’as cette boule dans la gorge depuis que tu l’as vu, ton instinct d’ainé un peu trop protecteur, l’instinct de celui qui sait. Mais quand tu tournes sur toi-même pour lui faire face, c’est la une vision d’horreur qui te noue l’estomac. « Damian ? What happened… ? » Tu fronces les sourcils, tes traits se crispent. Doucement ta main se lève pour frôler son menton, tourner légèrement son visage sur le côté et obtenir une meilleure vue de son œil. Le fantôme de tes doigts sur sa peau ne reste pas plus d’une seconde, tu sais que, comme Jason, il n’apprécie pas le contact et encore moins proche d’une blessure, tu respectes cette intimité. Mais tu t’inquiètes. Parce que la balafre qui lui recouvre tous son œil semble vraiment douloureuse. Ce n’est pas de la pitié qui remplit ton regard quand tu observes Damian, mais bien de la compassion, de la sympathie. Tu crispes la mâchoire, serres les poings, énervé parce que quelqu’un a osé défigurer ton cadet.

Et surtout coupable de ne l’avoir appris plus tôt.