Je suis du genre à me poser cinq cent milles questions à la minute avant de faire quelque chose quand l’anxiété prend le dessus. Ou alors à foncer dans le tas pour échapper, justement, à ces trop nombreuses questions qui me rongent le cerveau dans ces cas-là. Rarement je regrette vraiment des décisions, des actions, parfois, quand je me rends compte que j’aurais pu mieux faire. Des décisions mûrement réfléchies? Fort rarement. Celle de quitter le giron de Bruce avec pertes et fracas quand il est devenu un dictateur sanguinaire? Aucun regret! Ou presque…Disons surtout que ma capacité à me distancer de mes émotions a tendance à me revenir en pleine poire (et avec une vengeance) au moindre déclencheur. Le soucis? C’est que les déclencheurs peuvent être si nombreux et variés que je ne sais jamais quand les possibles émotions que j’ai refoulées et virer au fin fond de mon esprit pourraient revenir. Sinon j’aurais déjà trouvé une stratégie pour pallier à ce problème.
Le déclencheur cette fois? Oh, trois fois rien, une annonce dans le journal. Celle du grand Gala organisé par la famille Wayne, où toute la ville est conviée. C’est étrange, car je me souviens ne pas spécialement apprécier ces évènements, me retrouvant à la fin de ces soirées épuisés émotionnellement, mentalement, et ne souhaitant qu’une chose: une bonne tasse de café et du silence, pendant un long moment. Juste être seul avec mes pensées et mon pc, qu’on me fiche la paix, un peu. Pourtant cette fois, ça me renvoie à la figure tous ceux que j’ai laissé derrière en quittant la famille ainsi. Dick, Babs, Alfred, Bruce, Cass…C’est cette dernière en particulier qui me déchire un peu plus le cœur chaque fois que j’y repense. Mais c’est un tout. Les bons souvenirs qui ont tendance à éclipser les mauvais, comme les soirées à travailler sur un projet, avec Alfred qui vient régulièrement voir si je ne me suis pas écroulé de fatigue dans un coin. Ou des entraînements avec Dick, où je peine encore à le garder en vue, même des années après. Les discussions animées avec Babs à propos d’un codage ou autre. De simples moments de compagnie avec Cass, sans forcément que l’on ait besoin de parler, juste…nous deux, tranquillement.
Voilà mes sentiments qui me tiraillent les entrailles, enfoui que je suis dans mon hoodie rouge, les pieds sur le canapé, les yeux vers la télé sans vraiment la voir, le cordon de ma capuche entre les lèvres, le machouillant nerveusement. D’un côté, je sais, rationnellement, que je ne peux pas me pointer à cette soirée. Pas sans finir arrêté sur le champ. Pas sans m’attirer la foudre du chef de famille. Tout en même temps…ils me manquent. J’ai beau savoir que partir était le bon choix pour moi, je ne peux m’empêcher de me demander si je n’aurais pas dû essayer de convaincre les autres de venir avec moi…
Je n’entends même pas Rose rentrer, ni commencer à me parler. Je suis trop perdu dans mes propres névroses pour m’en rendre compte…C’est pas bon signe ça, en général.
Get off the dirt Listen to the crowd Screaming your name Screaming out loud
“Mais dis le si je te fais chier!”
La jeune asiatique veut bien comprendre les problèmes de son protégé, et même lui servir de nounou, d’oreiller, de confidente, et même de fournisseur de café. Mais elle estimait qu’avoir la décence de l'écouter se plaindre après une dure journée était la moindre des chances. Un sac de pois sur la hanche, et en train de panser le reste de ses plaies, elle n'était guère d’humeur à supporter le cruel manque de motivation de son adorable petit nerd préféré.
Elle grimace en posant un coton imbibé d’alcool sur sa joue en grimaçant. Sa mission au sein de la résistance a été particulièrement difficile aujourd’hui, et kicker des culs de Bats ne se fait pas sans perdre quelques plumes au passage. Elle donne un coup de coude au jeune Robin pour appuyer son propos avant de continuer.
“J’te jure… je pourrai parler dans le cul d’un poney ca s’rait pareil. T’es bien comme ton frère…” Marmonne-t-elle en finissant de poser un pansement sur sa joue, observant son reflet dans le petit miroir qu’elle a posé sur la table. Voiiiila. Un joli pansement sur sa tête de cyclope. Une vraie merveille.
Finissant par un soupire alors qu’elle s’attaque a sa plaie sur la jambe. Elle râle et râle, mais elle sait très bien ce que peut imaginer Tim a présent. Jason c’est autre chose, il a toujours été l’enfant sauvage des Wayne, même s' il a beau le cacher, elle sait très bien que pour lui aussi la situation est difficile. Mais Tim a toujours vénéré Batman, et même quand elle avait ramené son cul sur son canapé, il était déjà très proche de sa famille. Il a vu tout ce qui représente comme solide dans sa vie partir en éclat sans qu’il ne puisse rien faire. C’est dur pour lui, elle le savait bien.
Elle finit par lâcher “Tu peux m’en parler tu sais ? J’sais ce que c’est.” Enfin dans une certaine mesure. Elle savait pas ce qui était le plus dur, perdre sa mère ou alors être incapable de se rabibocher avec un membre de la famille devenu rogue. Slade n’était pas comparable, il a toujours été taré. “‘fin… un peu. Bref. Si tu continues de ruminer tu vas finir par prendre racine, et tout le café que tu bois tu vas avoir des graines qui te poussent dessus. Et même si c’est Jason qui gère les plantes c’est trop d’entretien.”
C’est dans un petit sursaut que je sors de mes pensées, grâce au coup de coude de Rose. Mes lèvres lâchent le cordon de mon hoodie alors que je tourne la tête vers ma colocataire, voyant son état et ouvrant les yeux un peu plus grands. Effectivement, j’ai raté un sacré récit de ce que je vois. Plus par réflexe que par réaction consciente, je réponds à son commentaire sur ma similarité avec Jason.
“Lequel?”
Un vieux réflexe plus qu’une réelle question, car il est clair de qui elle parle. Le seul qui vit avec nous, le seul qui est resté malgré toute la merde qui a pris place dans nos vies. Surtout que bon, elle connaît Dick et Damian, mais pas autant qu’elle peut connaître Jay, donc ce n’est pas comparable. Bref. Je retire finalement ma capuche pour me tourner plus pleinement vers elle, voyant la plaie à sa jambe. Encore quelque chose pour laquelle je me sens responsable. J’ai beau savoir que je ne l’ai forcée à rien, le fait que je fasse partie de la Résistance, que je donne du crédit à cette résistance (malgré leur leader), a probablement influencé sa décision de rejoindre la Section 4. En plus de l’opportunité de botter des culs à la pelle. Enfin ça, c’est pas comme si elle ne pouvait pas le faire en dehors de la Résistance.
J’attrape un coton, l’imbibant d’alcool avant qu’elle n’ait le temps de le faire et lâche un petit, peut-être un peu faible.
“Je m’en occupe.”
Le “je te dois bien ça” reste en suspens, présent dans le silence qui suit mes mots, alors que je commence à nettoyer la plaie délicatement. Rose est plus douée que moi pour nous recoller Jay et moi, mais je porte le costume depuis assez longtemps pour connaître un minimum de premier secours et de pansage de plaie, merci bien.
Une pause claire se fait dans mes mouvements quand les mots de Rose me parviennent. Je ne réponds pas tout de suite, continuant de m’occuper de sa plaie en silence. Elle arrive tout de même à me tirer un faible rire. Je dégage le coton rougi, et prends l’aiguille et le fil, ainsi qu’une dose d’anesthésiant local. Je sais que c’est une grande fille, c’est pas une raison pour qu’elle ait mal sans raison. Puis, dans un soupire, je prends la parole, il faut que j’attende que l'anesthésie fasse effet de toute façon…
“C’est juste…J’ai toujours été le Robin qui était…différent. On ne m’a pas choisi pour être Robin, je me suis imposé. J’étais pas orphelin jusqu’à bien des années après mes débuts en tant que Robin. Et pourtant…ils so-” je m’interromps une seconde "Étaient, ma famille. Je pensais avoir trouvé quelque chose qui me permettait de me définir. Un…Un but. Un qui soit le mien. Pas l’héritier Drake ou Wayne, bien qu’il ait pas duré longtemps celui-là. Mais maintenant…” mes mains se tortillent entres elles “Je sais plus trop où j’en suis, ni vraiment qui je suis…Et ils me manquent. Même Bruce…” finis-je dans un souffle.
Première fois depuis que j’ai quitté le manoir Wayne que j’appelle le Maire par son prénom. Je me suis efforcé tout ce temps de l’appeller par son titre, Mr le Maire, pour me distancer de celui que, justement, j’avais vu comme une idole puis un père du dictateur que je refuse de croire qu’il soit, au fond.
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“L’abruti brun qui fait des pirouettes.” Répond Rose immédiatement à sa question avant de marmonner un bref “Lequel” moqueur en reprenant son labeur d'essayer de ne pas ressembler à un steak haché sur patte. Outre le fait que le sérum ne l’aidait plus a cicatrisé, les sensations face à la douleur étaient toujours étranges depuis son sevrage. Aussi bien, les sensations n'étaient plus aussi présentes, accablantes, mais l’adrénaline n’était plus là pour adoucir la douleur dans un cocktail d’émotions et d’hormones hors de contrôle. C’était une nouvelle façon de vivre qu’elle a malheureusement dû réapprendre à qui mieux mieux. Mais c’était largement préférable que d'être une esclave de ses pulsions assassines et d’une substance immonde. Un pantin dans les mains brutales d’un père qui sait bien trop manipulé. Rose était libre, mais elle était plus mortelle que jamais. Et cela lui convenait parfaitement.
Elle ne rechigne pas avec une réplique assassine quand Tim finit par se proposer de l’aider pour soigner sa jambe, détendant un peu ses épaules crispées par la frustration et la fatigue. Mais étrangement, même si c’était douloureux elle préférait largement être dans cette position que dans une des nombreuses ou elle a dû chercher un de ses deux colocataires qui avait eu la bonne idée de se fourrer dans un bourbier. Cela devenait une habitude, et quand c’était elle qui subissait le coup de bâton, elle préférait dissimuler le problème ou le tourner au ridicule ou à l’absurde. Jason n’aimait pas la voir dans cet état, et il pouvait très mal réagir si elle se prenait un mauvais coup au mauvais endroit. Elle n’avait jamais oublié combien il avait été à ses côtés pendant son sevrage, a tel point qu’elle s’était demandé parfois si cela avait été plus douloureux pour lui que pour elle. Si elle avait des doutes au sujet d'à quel point le plus charmant mort vivant de Gotham était épris d’elle, Rose avait foutu ses doutes sous silence après cette atroce expérience.
Elle ignore vraiment quoi lui répondre quand il finit par vider son sac. Leurs expériences avaient bien quelques similarités, mais ils étaient diamétralement opposés. Slade n’était pas Bruce, et le petit cocon dans lequel Rose se pensait être n’était certainement pas la jolie fratrie Wayne dont il lui avait rabâché les oreilles. Il avait été assez facile pour Rose de quitter le nid, elle avait déjà un pied dehors depuis que Tim lui avait ouvert les portes de son cagibi qu’il appelait un appartement. Mais pour lui…
L’asiatique passe une main presque maternelle sur la tignasse de son meilleur ami, avec une sincère affection pour son histoire. Tim se confiait rarement, et Rose savait a quel point ce genre de moment était important pour eux, en plus de cimenter une amitié déjà assez étrange, mais on-ne-peut-plus sincère.
“Pardon mon Timbo.” Fit-elle ébouriffant. “J’ai tendance a oublié qu’on a beau être dans le même sac, c’est pas tout à fait pareil pour toi et moi.” Elle soupire et se gratte derrière une oreille. “J’ai pas de solution toute faite… et parfois moi aussi l’autre enfoiré me manque un peu.” Avoue-t-elle à mi-voix, en marmonnant à moitié. “Notre seule solution c’est qu’éventuellement ils finissent par se rendre compte de leur connerie…” Elle inspire bruyamment en se laissant tomber le dos sur le canapé. “On est dans la merde, Tim. Jusqu’au cou. Et on a un sacré boulot sur la planche.” Elle lui attrape le bras sans bouger de son état de larve améliorée si ce n’est en tournant légérement la tête vers lui. “Mais au moins on est pas tout seuls, pas vrai ?...”
C’est une consolation bien maigre. Mais c’est la seule qu’elle a.
Okay, tu la méritais celle-là. Bon après, je pourrais répondre que ça correspond à presque tous mes frères, en particulier Dick, mais ça y est, mon cerveau s’est reconnecté avec la réalité. Pour combien de temps, là est la question…En tout cas, je reprends les commandes pour continuer à la soigner, en l'aidant autant que je le peux. C’est peu souvent que Jay ou moi-même pouvons aider Rose de cette façon. Elle a tendance à se cacher pour lécher ses plaies, un peu comme ce que nous faisions tous avant de nous retrouver tous ensembles. Les habitudes ont la vie dure comme on dit, hein? Tout comme j’ai encore du mal à me confier sur ce qui ne va pas, ou ma tendance à m’enterrer dans le boulot quand ça ne va pas. Les fois où mon anxiété m’a rattrapé assez violemment pour que ça soit visible même à ceux qui ne me connaissent pas tant que ça (et j’exclus Rose et Jay de ce nombre, évidemment) se comptent sur les doigts d’une mains, à force de tout compartimenter dans mon esprit et d’enfermer les soucis au loin, sans les confronter pour autant.
Alors quand je finis par dire ce qui me ronge de l’intérieur, je suis presque surpris de sentir que, sans faire de miracle, ça aide un peu. De pouvoir me montrer vulnérable et pas seulement physiquement (parce que cette étape a été dépassée quand je me suis écroulé inconscient devant Rose dans mon salon il y a quelques années déjà). La main qui se glisse dans mes cheveux est rassurante, celle d’une personne en qui j’ai confiance et me rappelle, lointainement, les rares moments où ma mère me portait assez d’attention pour avoir ce genre de gestes envers moi. Qu’ils sont loins ces moment, j’ai l’impression que c’était il y a une vie entière…Quelle sensation étrange. J’ai l’impression d’être un chat, d’avoir plusieurs vies et d’en être à ma troisième: d’abord en tant que fils Drake. Ensuite en tant que fils dans la fratrie Wayne et enfin…en tant que Tim Drake, qui ne sait plus trop où il en est.
Les mots de Roses me tirent un petit rire désabusé, sortir à peine dans une expiration hantée de désillusion. “Qu’ils se rendent compte de leur connerie”...Si seulement. Si seulement c’était aussi simple à dire qu’à faire. J’aimerai tellement que Bruce retrouve ses esprits, qu’il arrête d’être ce dictateur que je ne reconnais pas. Je veux…retrouver des repères. Retrouver qui je suis.
“Bonne chance pour ça. Entre leur psychopathie commune et leur obstination tenace…J’ai peu d’espoir.”
Je soupire en m’adossant contre le dos du canapé, plantant le talon de mes mains sur mes yeux clos, assez fort pour que des points lumineux apparaissent derrière mes paupières. Je ne sais pas quoi dire, quoi faire, quoi espérer…? Je ne sais plus rien et ce n’est pas une sensation qui m’est agréable. Je tourne finalement la tête vers Rose, la vision encore un peu floue mais qui revient vite.
“Ouais…Mais ça vaut quoi de ne pas être seul quand on ne sait plus qui on est, hm?” je reporte mon regard sur le plafond me laissant glisser jusqu’à appuyer ma tête sur l’épaule de Rose, un roc qui me sauve la vie (au propre comme au figuré). “Sans être un Robin, sans être le sidekick de Batman…je ne sais pas vraiment qui je suis, au fond. Je sais ce que je sais faire, mes forces et mes faiblesses, mais qui je suis…? Vaste question de merde ça encore.”
Sujet: I'm fine, I'm just...fine (no I'm not) (Rose Wilson) 
Je suis du genre à me poser cinq cent milles questions à la minute avant de faire quelque chose quand l’anxiété prend le dessus. Ou alors à foncer dans le tas pour échapper, justement, à ces trop nombreuses questions qui me rongent le cerveau dans ces cas-là. Rarement je regrette vraiment des décisions, des actions, parfois, quand je me rends compte que j’aurais pu mieux faire. Des décisions mûrement réfléchies? Fort rarement. Celle de quitter le giron de Bruce avec pertes et fracas quand il est devenu un dictateur sanguinaire? Aucun regret! Ou presque…Disons surtout que ma capacité à me distancer de mes émotions a tendance à me revenir en pleine poire (et avec une vengeance) au moindre déclencheur. Le soucis? C’est que les déclencheurs peuvent être si nombreux et variés que je ne sais jamais quand les possibles émotions que j’ai refoulées et virer au fin fond de mon esprit pourraient revenir. Sinon j’aurais déjà trouvé une stratégie pour pallier à ce problème. 
